Récit du voyage des trois marcheurs Dijonnais sur Gaza
Le Caire... toujours nid d'espions?
Partis rejoindre 1400 autres marcheurs pour Gaza fin décembre 2009, trois Dijonnais se sont confrontés à la réalité du terrain... Durant tout leur séjour, il leur sera effet impossible de franchir la frontière égyptienne de Rafah et donc d'accomplir la mission qu'ils s'étaient fixés : "Marcher dans Gaza pour une manifestation non violente qui brisera le blocus illégal". Face à eux, le gouvernement via les policiers égyptiens s’oppose à leur initiative. Jeanne-Marie Jacquemond, l'un des trois marcheurs, revient sur cette apparente mésaventure... qui ne se révèle pas un échec pour autant, tenant son lot de rebondissements comme dans tout bon film d'espionnage.
"C'est une association américaine, "Code Pink", qui en est à l'origine. Le but étant de lancer cette marche avec les coalitions internationales les 31 décembre 2009 et 1er janvier 2010, afin de marquer la date anniversaire des 22 jours d'attaque d'Israël sur Gaza l'an passé. En tout, il y avait 1.400 personnes dont 500 Français, issus du groupe EuroPalestine et d'un collectif regroupant plusieurs associations, notamment l'Association France Palestine Solidarité dont je fais partie. Parallèlement, une autre marche devait partir de Jérusalem pour se rendre au nord de Gaza et ainsi nous rejoindre de l'autre côté du mur.
Non, en effet... Avant de partir, nous avions suivi des formations organisées par notre collectif, durant lesquelles nous avions reçu des consignes : comme par exemple de ne pas manifester en Égypte pour ne pas gêner l'opposition égyptienne qui nous avait aidés à venir. Le gouvernement égyptien ne voulait de rassemblement nulle part, pas même dans les hôtels où nous logions. Avec Malika, nous sommes arrivées le 26 décembre au Caire, dans un vieil hôtel du centre ville. Vous avez lu le roman "L'Immeuble Yacoubian" d'Alaa El Aswany ? C'était un peu ça. Sur le toit, il y avait une terrasse où était aménagée une petite cafétéria. Pour s'y rendre, il n'y avait qu'un minuscule ascenseur, pas d'escaliers ! Rapidement, nous nous sommes rendus compte que des policiers en civil nous observaient sur cette terrasse, de même qu'en bas dans le hall : à longueur de journée et de nuit, ils faisaient des rondes. Bref, nous étions particulièrement surveillés donc pour se réunir, nous le faisions dans les chambres. Nous avons tenté de faire une AG (=assemblée générale) à la cafétéria mais le directeur de l'hôtel nous a demandé d'arrêter, sur ordre de la police.
Et bien finalement non, car la police nous a interdit de prendre les transports en commun en prétextant que c'était trop dangereux pour nous là-bas. Nos organisateurs ont donc décidé de louer des cars. Ils en ont trouvé cinq, de manière plus ou moins clandestine : du coup, tous ont été dispersés aux quatre coins de la ville et nous sommes partis le plus rapidement possible pour ne pas laisser le temps à la police de réagir. Mais le temps de sortir du Caire et de faire une vingtaine de bornes, elle était là, à nous attendre... Nous sommes restés dans le bus, très calmes, tandis qu'il y avait des négociations. Soit nous restions toute la nuit dans le bus, avec peu de chance de passer le lendemain, soit nous rentrions au Caire. C'est ce que nous avons décidé de faire en se disant que nous ferions une grande conférence de presse sur une place de la ville une fois arrivés. Sauf que les chauffeurs de bus avaient reçu l'ordre de nous déposer là où ils nous avaient pris le matin : c'est-à-dire aux quatre coins de la ville ! Étant donné que nous étions escortés tout le long du retour, ils n'avaient pas franchement le choix. Donc la grande conférence de presse était fichue !
Certains ont tenté de partir par petits groupes en taxi pour El Arish. Ils sont rapidement revenus après s'être faits arrêter. Ensuite, un car a été négocié par les Américains avec Mme Moubarak (la femme du président égyptien). Prioritaires, ces derniers ont tout de même offert une place pour l'un des membres de chaque collectif étranger. Nous avons été prévenus au dernier moment : à trois heures du matin, nous disions précipitamment au revoir à notre "envoyé spécial", sur la terrasse de l'hôtel. C'était un beau moment. Mais au départ du bus, un policier s'est adressé aux personnes à l'intérieur du car en leur disant qu'elles étaient les "élus" et que les autres, dehors, n'étaient que de la racaille. Il s'agissait bien entendu de nous pousser à bout, c'était de la manipulation. Mais personne n'a souhaité partir dans ces conditions. Surtout que les Égyptiens voulaient les faire passer pour des humanitaires alors que ce n'était pas le cas : il s'agissait avant tout de dénoncer certaines choses ! Bref, les Égyptiens ont réussi leur tour et ont pu dire que nous ne souhaitions pas réellement partir...
Je dois reconnaître qu'on s'en doutait un peu mais nous espérions arriver au moins à El-Arish. Là, c'était un peu la déconfiture... Mais parallèlement, le groupe EuroPalestine, environ 300 personnes parmi lesquels notre troisième Dijonnais, est arrivé au Caire : il n'avait réservé aucun hôtel et devait partir aussitôt en car pour El-Arish. Ils s'étaient donnés rendez-vous devant l'ambassade de France. Toute la journée, ils ont attendu leur bus, qui n'est finalement jamais venu. Ils ont alors décidé de faire un sitting devant l'ambassade. La police est intervenue et les a déplacés sur la limite du trottoir : 90 mètres de long sur 4,5 mètres de large. Entourés par deux rangées de policiers, ils sont restés sur ce trottoir durant cinq jours et cinq nuits. Nous sommes bien sûr allés les voir par solidarité. Au fil du temps, l'endroit est devenu un vrai lieu de rassemblement et de réflexion. Les médias locaux étaient bien obligés de parler d'eux car ils squattaient l'une des artères principales de la ville. Les gens savaient donc ce qu'ils faisaient là et ils klaxonnaient en passant devant eux, en signe de soutien. Même les policiers ont fini par les laisser aller et venir dans la ville, en laissant une petite brèche ouverte dans le cordon de surveillance... Avec d'autres méthodes que celles de notre collectif, beaucoup plus démonstratives, ils ont réussi à faire parler d'eux.
Nous avons voulu organiser une manifestation devant l'ONU mais l'idée n'a pas été retenue par la coordination des marcheurs. Ensuite, il y a eu une manifestation de journalistes égyptiens qui dénonçaient la venue du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. Certains d'entre nous les ont suivis après avoir eu leur accord. Le soir du 31 décembre, nous avons organisé sur le toit de notre hôtel une conversation sur Skype avec Gaza. Nous avons parlé avec un représentant du comité palestinien des droits de l'homme qui nous a remerciés de notre démarche, soulignant qu'il regrettait de ne pas avoir pu nous recevoir... Le lendemain, nous avons rencontré la société civile égyptienne, l'opposition politique au gouvernement, de manière très confidentielle : nous avions rendez-vous à un angle de rue dans un quartier très populaire de la ville... Avec eux, il a été convenu de travailler ensemble à une plateforme de réflexion et de garder contact.
Oui. Mais ensuite, nous avons appris qu'un convoi humanitaire parti d'Angleterre allait passer par la porte de Rafah du 3 au 6 janvier. Avec Malika, nous avons donc décidé de prolonger notre voyage pour essayer de profiter de cette opportunité. Nous avons quitté notre hôtel en jurant de revenir le soir et nous avons pris un bus en direction de Port-Saïd, au nord du pays. A chaque fois qu'il y avait un contrôle d'identité, notre cœur ne faisait qu'un bond. Finalement, nous avons rejoint Port-Saïd puis nous avons traversé le canal de Suez en taxi pour arriver au nord du Sinaï dans l'idée de rejoindre Rafah, une fois de plus. C'est seulement au 3ème check-point que nous avons finalement été refoulées. Nous sommes rentrées à Port-Saïd, dans une auberge de jeunesse où nous avons pu vraiment rencontrer les Égyptiens. C'était une belle dernière journée, tranquille et calme contrairement au reste de notre voyage. Nous avons pris notre avion le lendemain...
Pas du tout ! Nous avons fait parler de nous, nous avons rencontré des gens... L'Égypte a tout fait pour nous faire échouer, cela est certain. Et on suppose que ce n'était pas seulement pour notre "sécurité". Nous pensons en effet qu'ils ne voulaient pas que l'on voit le gigantesque mur en construction à Rafah : en acier, le mur ferait 14 km de long et 20 ou 30 mètres de profondeur (pour éviter les tunnels). La construction a d'ores et déjà commencé, selon les Égyptiens de l'opposition que nous avons rencontrés, qui serait plus importante que le barrage d'Assouan. Les États-Unis financeraient le mur.